Là où tout a commencer

C’est difficile de parler de soi mais en même temps cela permet de recentrer les choses comme un arrêt sur une scène d’une de ses séries préférées, on ne sait jamais comment cela va se terminer mais on aime revoir certains passages en boucle. Parler de moi, de ma vie, de mon histoire c’est revoir toutes les étapes qui m’ont menées à vous parler, ici aujourd’hui.

Je me souviens de ces parfums qui se mélangent et m’enivrent ce jour-là. Ma mère, mes tantes me serrent tour à tour dans les bras, elles me parlent mais je n’entends rien, je fixe cette bougie et sa petite flamme qui bouge au rythme des courants d’air. J’aimerai pouvoir le serrer encore dans mes bras comme elles me serrent, si fort, une seule question trotte dans ma tête « à 6 ans est ce juste de perdre mon papa, l’homme de ma vie ? » Je jouais toujours avec des ciseaux, ma mère criait, me grondait, lui me faisait confiance, et ne cessait de lui répéter ne t’inquiète pas elle ne se blessera pas, comme-ci il savait que ces ciseaux deviendraient mes meilleurs amis.

Comment ne pas penser aussi à ma sœur qui me servait de modèle et qui s’est retrouvée presque chauve à cause de moi, on jouait à la cliente et la coiffeuse, elle s’asseyait sur une chaise et je commençais à couper mèche après mèches, j’aimais tellement cette sensation et ce grincement si spécial que j’entendais à chaque étape que j’en oubliais presque qu’il fallait s’arrêter de couper. Ma mère avait eu tellement peur pour nous et pour la sécurité capillaire de ma sœur qu’elle m’avait – au-delà de la punition infligée – confisqué mes bien-aimés ciseaux.

Je les aimais ces ciseaux mais pour autant je ne savais pas encore que je voulais être coiffeuse, vous savez cette sensation différente qu’il y a entre quelque chose que tu aimes bien faire et le sentiment d’avoir trouvé ta voie. A vrai dire jouer à « coiffer » mes proches me permettait plutôt d’oublier mon quotidien. J’étais tellement perdue depuis la mort de mon papa, une vraie tête brulée. Je n’aimais pas les règles, et encore moins l’école. J’ai d’ailleurs été très vite orientée en Segpa. Toute cette période est floue dans mes souvenirs je me souviens juste que je ne me sentais pas comprise et encore moins à ma place. J’avais envie d’être ailleurs, avec d’autres gens. C’est à l’âge de 13 ans que j’ai eu cette fameuse révélation. Devant cette affiche, cette chevelure blonde, soyeuse et volumineuse, signée Franck Provost. Je la fie là immobile pendant de longues minutes : Je suis coiffeuse, je le sais et je veux en faire mon métier.

Faire des choix

Les années de classe se suivent et se ressemblent avec cette même sensation de vide intérieur. Mon père me manque. Lorsque je parle de mon envie de rejoindre une Ecole de coiffure ma mère et mon beau-père s’y opposent fermement ce n’est pas un métier disent-ils. En fin de classe de troisième je désobéis aux ordres et m’inscris malgré tout en stage dans un salon Jean-Claude Biguine. Malgré la bienveillance de mon référent, je n’accomplirais que des petites tâches et ne toucherais pas une seule fois une paire de ciseaux si ce n’est pour les désinfecter en fin de journée.

 

Après plusieurs rendez-vous à la mission locale d’Avignon où je les supplie de m’orienter vers un CAP Coiffure j’atterris dans un CAP Vente. Ironie du sort la baie vitrée de ma salle de cours donne sur la salle de formation Esthétique et coiffure, je vous laisse imaginer ma frustration et le sentiment d’injustice qui m’envahit. Pourquoi ont-ils le droit de faire ce qu’ils aiment ? Après l’obtention de mon CAP je pars en quête d’une solution pour arriver à mes fins. On me conseille alors de partir en quête d’un apprentissage, je mets alors mon CV à jour et postule dans plus de 80 salons d’Avignon et sa région : ils me refusent TOUS.

Ma mère qui ne m’avait jamais vue aussi déterminée parle de mes ambitions à son entourage une de ses connaissances m’embauche comme apprentie mais cette aventure prend fin lorsque je suis convoquée et que l’on m’apprend que mon référent n’a pas son Brevet Professionnel ce qui annule complètement ma formation et m’oblige à trouver un autre salon en urgence.


Pourquoi suis-je face à autant de difficultés ?

Pour certaines personnes tout est tellement simple.


Je tente alors le tout pour le tout et cherche un poste de coiffeuse apprentie affirmant avoir mon diplôme. S’en suivent alors deux ans de travail acharné, chaque heure est précieuse et m’apprend quelque chose. J’observe mes collègues scrute leur techniques et leurs coups de ciseaux sur ces cheveux caucasiens. Dotée d’un bon niveau et riche de cette expérience j’avais un autre objectif en tête : coiffer et sublimer les cheveux des femmes noires.

Chaque semaine, j’avais beau acheter et éplucher chaque page des magazines Amina ou Miss Ebène, mon envie de me spécialiser s’annonçait difficile en province car à l’époque il existait peu de salons spécialisés. Je pris alors mon courage à deux mains, je n’avais pas le choix, même si je n’y connaissais personne il fallait que je me rende à Paris. Je savais que c’était la seule solution pour me perfectionner.


Encore une fois, les galères et les obstacles ont ponctué ma route, loin de ma famille dans une autre ville, hébergée à gauche à droite, je ne connais personne, je n’ai quasiment pas d’argent pour vivre mais c’était mon choix il fallait que j’assume et il était hors de question que je revienne à Avignon sans avoir réussi à accomplir mon but.

J’ai tout connu les salons qui me payaient avec des chèques en bois, ceux qui me payaient rubis sur l’ongle mais qui me traitaient comme une esclave, en fait il y avait toujours un souci, rien n’était carré dans ce milieu et encore moins avec une jeune fille noire qui débarque de sa province.


Il aura fallu de longs mois, de courtes nuits sur un matelas gonflable, de longues journées où la faim se faisait ressentir, avant que je ne rencontre celui qui allait me donner ma chance. Il m’a pris sous son aile, il voyait ce que les autres ne voyaient pas, sans doute mon potentiel. Grâce à lui j’ai appris et pris confiance en moi. Quand quelqu’un du métier crois en vous votre mission prend tout son sens. Forte de tout ce que j’avais appris je décidais alors de passer mon diplôme. Des mois de travail acharné, de concentration, de cours du jour, de cours du soir, des mois à espérer obtenir enfin ce bout de papier si précieux qui représentera tellement de choses à mes yeux.

Le jour des résultats est arrivé, comment ne pas penser à mon papa Youssoupha, à ma sœur, à maman et à ma paire de ciseaux qu’elle m’avait confisquée. Je tremble devant cette liste accrochée au mur, j’ai tellement peur de ne pas y trouver mon nom et pourtant il est bien là, c’est bien moi, Sadia Kany qui apprend ce jour-là que je suis diplômée avec mention.


Toutes ces étapes de ma vie m’ont aidée à devenir qui je suis, je ne regrette rien, je remercie ceux qui ont cru en moi et ceux qui m’ont dénigrée car à cause d’eux j’ai appris à me dépasser, à croire encore plus en moi et à m’accrocher à mon rêve. C’est grâce à eux que je prends autant de plaisir à vous coiffer, à vous rendre encore plus belles et à vous aider à croire un peu plus en vous parfois car le rêve a mis du temps avant de devenir réalité et je mesure la chance que j’ai d’avoir pu faire de ma passion, mon métier.

Si ce rêve se poursuit depuis tant d’année c’est aussi grâce à vous toutes, vous qui me faite confiance qui croyez en moi et qui me confiez vos plus proches parents et amis.

L’histoire ne fait que commencer et vous en faites partie. Alors merci d’être vous et merci d’être là.

Kanysa